Bordeaux est une ville souvent vantée pour son activisme rock’n’roll grâce à des groupes comme JC Satàn, Magnetix, le festival Vicious Soul, l’association Allez Les Filles ou encore le disquaire Total Heaven. Un contexte bruyant qui n’a pas empêché Alizon de s’y installer, simplement accompagnée d’une guitare et de chansons dépouillées qui invoquent des grands noms de la folk intimiste tels que Jackson C. Frank, Nick Drake ou plus récemment Alela Diane. Quelques semaines après la sortie de son premier LP From Crash to Crash, elle nous fait découvrir les recoins d’un Bordeaux méconnu sans oublier de souligner les défauts de sa cité d’adoption.
Ta première impression sur la ville.
Oh mon dieu… La froideur générale (c’est une hallucination ou un microclimat s’est instauré au dessus de ma tête ?) !
Un lieu que tu regrettes de n’avoir pas connu.
Le Saint-Ex. Pourtant je n’ai pas l’impression que c’était très folky. Mais à chaque fois que j’en entends parler, ça me fait envie.
L’endroit confidentiel que tu adores.
Chez Paul’s Place ! C’est un adorable petit salon de thé anglais dans le quartier des Chartrons (une zone très bobo), tout près de la rue qui porte le nom le plus chou du monde : la rue de la Pomme d’Or. J’ai connu le patron il y a trois ans lors d’un événement de rencontre littéraire poétique (le “Lieu-dit”) au fin fond de la Dordogne, où je lisais un texte pour le Collectif Bêta. Puis je suis allée voir à quoi ressemblait son salon de thé. L’endroit est sombre et envahi de babioles, de livres poussiéreux, d’affiches, de portraits kitschs… ça sent le renfermé mais c’est très chaleureux. J’ai découvert le seul lieu de Bordeaux où j’avais enfin réellement envie de jouer ; j’avais le sentiment que ça aurait du sens. À l’époque, il faisait essentiellement des soirées lecture et autres petites projections mais maintenant on peut y écouter des concerts acoustiques régulièrement.
Tes rues favorites.
J’adore ma rue tiens ! La rue Castillon (prolongement de la rue de Cheverus). Malheureusement, elle devient de plus en plus passante à cause du carnage qu’est le passage Sainte-Catherine qu’ils ont été flanquer à deux pas de chez moi. Sinon, j’aime bien la rue de Ruat également qui descend de Chez Mollat à la boulangerie lyonnaise (je l’appelle la boulangerie lyonnaise mais en vérité elle a un autre intitulé ; j’ai une fâcheuse tendance à tout renommer sous forme de périphrase). Il y aussi la rue Camille Sauvageau. Et la Place du Palais. Quand je suis arrivée à Bordeaux, j’y buvais souvent des cafés toute seule, au café Le Cailhau. J’y lisais, j’y préparais mon concours d’institutrice, j’y remplissais des petits carnets aussi divers et variés que complètement inutiles.
Le quartier où tu ne traînes jamais.
La place de la Victoire et la rue Sainte-Catherine. Non. Merci. Au revoir.
L’adresse que tu es fière de faire découvrir.
Le Petit Mignon ! C’est un restaurant corse adorable de la rue Saint-Rémi. Le menu est ultra accessible, surtout en semaine, le patron adorable, il y a du Coucheroy dans les choix de vin et surtout on peut s’y délecter d’un énorme chèvre pané au miel (et quand je dis pané c’est pané, une bonne croûte dorée et craquante). Ensuite, question bars, pour moi, c’est plus compliqué. Je serais incapable de citer une salle de concerts que j’aime vraiment, où la programmation me sied à peu près… Je zone là où les copains et les quelques concerts qui me branchent m’amènent, comme au Void, au Wunderbar ou au Bar Tabac Saint-Michel, mais ça reste éclectique et je ne me sens nulle part vraiment à ma place : la scène folk et l’esprit folk sont complètement inexistants, les pubs me provoquent de l’urticaire passé l’happy hour (malgré mon goût pour le cidre pression), et les bars à vin ne sont pas vraiment des lieux tout à fait funky à fréquenter pour de réelles soirées. Dernièrement, on a commencé à me traîner à Chez Ta Mère, rue Camille Sauvageau. Je m’y sens bien.
L’endroit le plus dépaysant.
Dépaysant n’est peut-être pas le mot que j’utiliserais mais je dirais la place Saint-Michel. Disons que c’est l’endroit qui permet de respirer et suspendre un peu le temps et la vie autour.
Le meilleur spot pour ne rien faire.
Pour ne rien faire tout en y faisant tout, la place Saint-Michel encore une fois. Pour ne rien faire tout en n’y faisant rien (mais avec un bon goût de menthe, de chèvre chaud et une exposition parfaite au soleil) : Chez Saïd. Ce dernier est un lieu que je ne fréquente que depuis l’enregistrement de mon disque en août 2015. C’est le repaire d’un tas de branquignoles tous plus attachants les uns que les autres et pour lesquels je me suis instantanément et largement prise d’affection. D’ailleurs, en parlant de chez Saïd, j’ai deux anecdotes de folie : il donne son nom au premier morceau de From Crash to Crash. Et, j’ai appris il y a deux jours que Chez Saïd s’appelait en fait Chat Noir Cha Vert.
Le moment de l’année que tu redoutes.
Je redoute la rentrée de septembre à cause des journées d’intégration, des premiers repas de classe et autres attroupements étudiants à caractère ovin. Je redoute Les Épicuriales, cet espèce d’événement pathétique qui consiste en faire s’agglutiner sur les allées de Tourny des stands représentant les bars et restaurants habituels et ce sur une période de deux semaines. Tout est cher, tout hurle, tout est moche, les bouteilles de vin blanc dégueulent des seaux à glaçons. Et je redoute le mois d’août d’une manière générale parce qu’il ne se passe plus grand chose et que la probabilité de croiser des gens qui se déplacent en Segway augmente considérablement.
La meilleure légende urbaine.
Quand je suis arrivée à Bordeaux il y a quatre ans, une succession de subites disparitions a frappé la ville (de type grande terreur). À ce moment-là, il était question un peu partout en France de trafic d’organes. Il est tout à fait possible que je me sois montée une légende urbaine de toutes pièces, mais je croyais que les gens s’imaginaient qu’un mystérieux et macabre personnage rôdait dans les rues de Bordeaux et arrachait aux faibles brebis bourrées comme des coings (au sortir de cette immondice de boîte gracieusement intitulée La Plage) leurs organes pour les mettre dans des petites glacières, puis jetaient les corps dans la Garonne.
Ton événement culturel préféré.
J’aime bien le principe du festival Bordeaux Rock en ville, qui propose chaque année une série de concerts simultanés dans plusieurs bars (et plus ou moins regroupés par style). On débute la soirée dans un bar puis on poursuit dans un autre, etc. Le tout pour trois euros et ce sur trois jours. J’aime aussi le festival Musical Écran, tout comme le principe du projet Relâche de l’association Allez les filles. Concerts et DJ sets gratuits en plein air tout l’été dans différents lieux chouettes de Bordeaux.
Les clichés qui ruinent l’image de ta ville.
La rue Sainte-Catherine, encore et toujours, plus grande rue piétonne et commerçante d’Europe, plus rebutante aussi. Bordeaux, berceau des enterrements de vie de jeunes filles de province à coup d’oreilles de lapin et autres mojitos trop sucrés à la Calle Ocho et dancefloor enflammé quai de Paludate (et leurs homonymes masculins aux coupes de cheveux en brosse et chemises entrouvertes bouteille de vodka-kas autour du cou dans le tram, pensant peut-être s’adonner ainsi à une activité de type manège aux Fêtes de la Madeleine). Il y a également le “Bordeaux-barbu” (hipster) qui pense avoir inventé le concept d’écosystème ou les “Bordeaux-pâtidoux” (bobo écolo) qui te regardent de haut quand tu ne connais pas le nom d’un mystérieux légume d’automne au marché bio des Chartrons.
Photo : Pauline Pujol Charles