Les chiffres parlent d’eux-mêmes : au cours des dix dernières années, 40 à 50% des salles de concerts et clubs ont fermé au Royaume-Uni et à Londres en particulier. Comment en est-on arrivé là et que faire pour sauvez les nuits londoniennes ? Nous avons posé la question à Thomas Van Berckel de la Night Time Industries Association, à l’origine d’un manifeste pour préserver la vie nocturne à Londres.
SE1, Turnmills, The End, The Fridge, Plastic People, Passing Clouds, Shapes, Dance Tunnel… La liste des clubs londoniens récemment disparus n’en finit pas de s’allonger. Une pétition intitulée « Nightlife Matters » a même été lancée en avril dernier par la Night Time Industries Association, un regroupement de salles de concerts, clubs, organisateurs et promoteurs de concerts pour mobiliser l’opinion et le gouvernement. Le 6 septembre, la décision du conseil d’Islington de fermer l’iconique club Fabric a pris tous les amateurs de clubbing par surprise. Nous avons fait le point avec Thomas Van Berckel de la Night Time Industries Association sur toutes ces fermetures et sur l’état du clubbing et de la fête à Londres.
Comment expliquez-vous toutes ces fermetures ?
Elles viennent de plusieurs problèmes différents qui ont surgi en même temps et ont créé une vraie tempête…
Tout d’abord, les prix de l’immobilier à Londres sont très hauts donc il est très dur de faire tourner un club à Londres… Il est beaucoup plus facile de transformer son club en appartements et de se faire ainsi de l’argent facile. De plus, les loyers des clubs et des salles de concerts n’arrêtent pas d’augmenter.
En plus de cela, la municipalité (et donc la police) a vu son budget réduit de 50% par le gouvernement. Mais, malgré ces coupes budgétaires, les autorités doivent malgré tout dans le même temps améliorer leurs performances, ce qui semble complètement impossible. Cela signifie donc plus de régulation et plus de contrôle des clubs. C’est un vrai problème parce que, si vous avez un club et qu’on ne vous accorde une license que jusqu’à deux ou trois heures du matin, il est très difficile de gagner de l’argent. Ce type de souci de license se retrouve partout au Royaume-Uni.
Autre point : de plus en plus de personnes habitent dans les quartiers du centre-ville à Londres et les plaintes pour nuisances sonores se multiplient. Beaucoup de gens qui déménagent dans ces quartiers n’en sont pas familiers… On y trouvait beaucoup plus un sens de communauté par le passé. Par exemple, un programme immobilier d’appartements de luxe était prévu à proximité du Bussey Building à Peckham. Mais, au final, le Bussey Building a gagné parce que la population s’est opposée au projet. Donc il y a aussi des success story…
La drogue est aussi un vrai problème. C’est à cause des problèmes liés à la drogue que Fabric et d’autres gros clubs comme The Arches en Ecosse ont fermé. C’est un problème complexe…
Pensez-vous que le fait de fermer des clubs comme Fabric ou The Arches soit une solution pour lutter contre ces problèmes de drogue ?
Clairement non ! Fermer un club n’empêche pas les gens de prendre de la drogue. Et, en réalité, fermer Fabric va avoir l’effet opposé. Les gens vont se tourner vers des soirées non réglementées, sans supervision et illégales. Les videurs et les équipes ne seront pas formées à surveiller, prendre soin et aider les personnes rencontrant des soucis avec la drogue. Les clubs peuvent aussi travailler avec la police pour signaler les dealers. En fermant Fabric, on tue tout ce travail et ce réseau.
Vous ne pouvez pas tenir un club responsable pour l’usage de drogues. Un club doit s’assurer que l’endroit est géré professionnellement mais, au final, les gens prennent de la drogue… En suivant cette idée, cela voudrait dire qu’il faudrait fermer tous les lieux ! Les plus gros problèmes avec les drogues aujourd’hui viennent du fait qu’elles sont plus petites que jamais et donc faciles à cacher et à écouler. Un autre problème encore plus préoccupant est qu’elles sont aussi cinq à dix fois plus puissantes qu’elles ne l’étaient il y a encore cinq ans.
De notre côté, nous nous positionnons en faveur de tests anonymes des drogues. Au Royaume-Uni, l’organisme The Loop a été l’un des pionniers à l’expérimenter. Amsterdam et Berlin utilisent déjà cette méthode. L’idée est de permettre aux gens d’accéder à des zones leur permettant de tester ce qu’il y a dans leur drogue sans risque d’être arrêté car tout est anonyme. En faisant cela, nous pourrions aider les personnes à prendre leurs responsabilités et nous pourrions les sécuriser. Elles pourraient savoir ce qu’elles s’apprêtent à faire passer dans le corps. Cette méthode a donné de très bons résultats dans d’autres pays.
Est-ce que certains quartiers sont plus impactés que d’autres par cette situation ?
Chaque quartier établit sa propre politique. Certains sont plus progressifs et ouverts aux idées nouvelles. Cette différence est également marquée entre les villes du Royaume-Uni. Par exemple, Manchester est très en avance et les autorités réalisent l’importance de la vie nocturne. La police y travaille donc main dans la main avec les clubs et les salles de concerts. A Londres, nous avons beaucoup à apprendre de Manchester : la ville a été la première à mettre en place le test anonyme des drogues lors des soirées du « Warehouse Project » et a été impliquée dans d’autres projets intéressants…
Comment est-ce que le gouvernement gère les problèmes rencontrés par les acteurs de la vie nocturne à Londres ? Des mesures ont déjà été prises, comme la mise en place du métro ouvert 24h/24…
Nous avons fait de gros progrès. Bien sûr, les métros de nuit sont une bonne chose. Nous avons également créé un groupe de travail dédié à la musique et une commission de la vie nocturne qui peut faciliter les choses. Nous avons un nouveau poste à la mairie : le « tsar de la nuit ». Son travail est de s’assurer que le monde de nuit à Londres se porte bien. Nous avons appris tout ça d’Amsterdam et de Berlin. Des choses ont été faites mais il est nécessaire que les choses changent rapidement. La question est de savoir si ces mesures donneront des résultats. C’est vraiment dommage qu’il faille en arriver là pour les choses changent…
Quelles autres solutions pourraient être imaginées ?
Nous aimerions que d’autres questions soient débattues. Comme le principle de l’agent de changement. Ce principe implique qu’une personnalité ou une entreprise responsable d’un changement est également responsable de la gestion de l’impact de ce changement. Cela signifie que si un immeuble d’habitation est construit à côté d’un club, il doit être insonorisé par le promoteur. Les gens doivent être conscients qu’ils déménagement à côté d’un club. Dans les faits, bien souvent, les gens déménagent dans des quartiers animés puis ensuite se plaignent de toute cette animation. Nous aimerions avoir une discussion rationnelle avec le gouvernement sur tous les bénéfices qu’apporte le monde de la nuit : le rôle que la musique et les clubs jouent dans notre culture, les bénéfices en termes d’attractivité touristique pour la ville de Londres, les bénéfices sociaux et culturels, les bénéfices économiques…
Etes-vous optimistes pour le futur des nuits londoniennes ?
La fermeture de Fabric a vraiment été un choc. Tellement de lieux ferment en ce moment… Mode Club, un club reconnu et installé depuis une quinzaine d’années, a fermé il y a quelques jours… Et rien que pendant la semaine qui a précédé la fermeture de Fabric, trois autres clubs ont mis la clé sous la porte : Passing Clouds, Shapes et Dance Tunnel. Trois lieux la même semaine !
Fabric est une institution nationale et est partie prenante de la culture des musiques électroniques. Le gouvernement ne semble pas vouloir le reconnaître actuellement. Fermer Fabric équivaut à fermer la Royal Opera House ou le British Film Institute.
La situation de Fabric a aggravé les choses. Que vous aimiez y aller ou pas, Fabric était vraiment le cœur de la culture club à Londres. Et maintenant, le lieu a disparu. Cela a déçu et énervé les gens. Résultat : maintenant plus que jamais, les gens vont vouloir faire bouger les choses et c’est dans cet esprit que nous avons créé notre campagne Nightlife Matters. Je pense que, dans les semaines et les mois à venir, les choses vont bouger…
Photo : Rosa Maria Koolhoven