En Turquie, la scène musicale souffre de la situation politique

Quand on a appris que le très chouette magazine culturel turc Bant Mag. avait lancé une série de mixtapes en réaction aux difficultés politiques et sécuritaires auxquelles fait face le pays, nous avons eu envie de recueillir les impressions de ses co-fondateurs. Spoiler : sans surprise, les attaques terroristes et le récent coup d’Etat manqué ont sévèrement affecté la vie culturelle locale…


James Hakan Dedeoglu et Aylin Gungor ont lancé Bant Mag. en 2004. Ce magazine dédié à la musique, aux arts et au cinéma organise également des concerts, des expositions, des festivals, des discussions et des projections. “Croyant au pouvoir unificateur et thérapeutique de la musique et des arts”, ils ont demandé à des musiciens, groupes et DJ internationaux des quatre coins du monde de leur envoyer des mixtapes après le récent coup d’Etat.

Will Oldham, Beirut, Julia Holter, Julianna Barwick, Moon Duo, Jerusalem In My Heart, Goat, Suuns, Caribou, Efterklang, etc. : à ce jour, plus de vingt artistes ont transmis leur message et une mixtape au magazine. “Attendant avec impatience de pouvoir vivre une vie démocratique, libre de toute forme d’oppression et de coup d’Etat, nous pensons que c’est un bon moment pour trouver refuge dans les liens que nous avons pu créer avec des personnes du monde entier, en utilisant la musique comme un pont”, expliquent les co-fondateurs de Bant Mag. sur leur site. Nous avons demandé à James Hakan Dedeoglu de nous en dire plus sur les conséquences des attaques récentes et du coup d’Etat manqué sur la vie culturelle à Istanbul et en Turquie.

Vous avez sollicité des musiciens afin qu’ils vous transmettent des mixtapes en réaction à la situation actuelle en Turquie. Pourquoi ?

Ces dernières années, nous avons organisé plus d’une centaine de concerts ici à Istanbul avec Bant Mag. Nous avons travaillé avec de nombreux groupes européens et américains. Et la plupart d’entre eux sont devenus nos amis. Nous avons donc des liens très forts avec la scène musicale. Cette année a été très dure pour Istanbul et la Turquie. Les attaques terroristes, le dernier coup d’Etat manqué et les désordres politiques affectent beaucoup la population. Beaucoup de gens se sentent déprimés et ont peur du futur. En raison de ces événements, de nombreux groupes ont annulé leurs concerts ou n’acceptent plus de venir jouer à Istanbul. Mais nous sommes amis avec de nombreux musiciens étrangers qui sont déjà venus jouer à Istanbul et nous savons que leur pensées sont avec nous… Nous avons reçu tellement de messages pendant les attaques et le coup d’Etat. Alors nous avons pensé : pourquoi ne pas leur demander de faire une mixtape pour leurs fans turcs ? Cela remonterait le moral des gens. Les artistes ont tous réagi positivement et avec beaucoup de cœur. Nous les remercions d’avoir pris le temps de partager leurs pensées et toute cette musique avec nous.

Comment décririez-vous la situation en Turquie actuellement ?

Décrire la situation actuelle en Turquie nécessiterait d’écrire un très très long texte… D’autant plus que les événements d’aujourd’hui sont connectés à tellement d’événements du passé et qu’il y a tellement de niveaux qui entrent en compte. Mais, pour faire court : nous avons passé une nuit vraiment très très folle au moment du coup d’Etat manqué et c’est une chance que celui-ci ait échoué. Mais la Turquie doit toujours faire face à de très nombreux problèmes et dangers. Il reste difficile de se sentir en sécurité et d’avoir de l’espoir pour l’avenir. Les menaces terroristes, le besoin immédiat d’une vraie démocratie solide, de meilleures relations avec le reste du monde, etc. Les gens sont curieux de voir dans quelle direction la situation va évoluer. La seule chose que nous pouvons faire, c’est attendre et espérer que de meilleurs jours sont devant nous. Pas seulement pour notre pays mais pour le monde entier, qui semble complètement dérailler actuellement…

Quel impact cette situation a sur la culture en Turquie ?

Et bien, en cas d’attaque terroriste, la première réaction est d’annuler les concerts, les vernissages, les soirées… et cela arrive très souvent ! Comme je le mentionnais précédemment, de nombreux groupes et artistes étrangers et de touristes fans de culture ont arrêté de venir en Turquie cet été. Et, bien sûr, l’économie toute entière est affectée par tous ces événements donc le monde culturel est inévitablement touché. Mais la vie culturelle continue et les gens n’arrêtent pas de créer et de partager pour autant !

Avez-vous le sentiment que cela a eu un impact sur le soutien des autorités au secteur culturel ?

Honnêtement, pas vraiment, parce que la musique ne bénéficiait déjà pas du soutien des autorités avant… Le gouvernement ne s’intéresse pas à la scène musicale ici. Pour ce qui est des festivals et des grosses organisations, ce sont généralement des grandes marques qui sponsorisent les événements. Et, bien entendu, ces sponsors ont été affectés par tout ça.

Dans un article publié à l’occasion de la publication des mixtapes, vous expliquez que “la vie culturelle en Turquie a marqué un coup d’arrêt”…

Depuis le coup d’Etat manqué, quatre gros festivals accueillant des têtes d’affiche internationales ont été annulés. Il s’agit du One Love Festival, de Masstival, de RockOff Festival et d’une partie de la programmation de l’Istanbul Jazz Festival. Des artistes comme Muse, Skunk Anansie ou Joan Baez ont annulé leurs concerts. La nouvelle saison des salles de concerts commencera fin septembre… Nous verrons bien comment va se dérouler la saison mais on peut imaginer que les lieux vont se tourner vers les artistes locaux pendant un certain temps. Avec un peu de chance, la scène locale va en bénéficier et gagner en exposition et en notoriété. C’est voir les choses du bon côté… Mais ne croyez pas que plus aucun groupe ne vient : plein de musiciens et DJ étrangers sont déjà annoncés dans les programmations de cet automne !

Plus d’infos :
Allez lire Bant Mag.
Ecoutez leurs mixtapes.

Photo : DR

Cet article vous a plu ? Inscrivez-vous à notre newsletter ci-dessous.