Lumière sur 25 ans de hip‑hop allemand

Vous avez dit rap allemand ? Dur de contredire Michael Münch lorsqu’il avance que le rap germanique ne connaît pas vraiment le succès en dehors des pays où il est produit. Mais son documentaire Curtains Falling est là pour changer le regard que nous lui portons. De ses origines dans les campements américains de la guerre froide au rap léger de ces dernières années, Curtains Falling dévoile tout ce qu’il y a à savoir sur le hip-hop germanique de ces vingt-cinq dernières années.


Michael Münch ne s’est pas interrogé longtemps sur le thème à aborder pour son premier documentaire d’envergure. Initié au piano à l’âge de quatre ans, puis à la guitare de manière autodidacte à quatorze, il souhaitait transcrire sa passion pour la musique dans son projet. Si son attrait pour cet art ne connaît pas de limite de genre, le rap allemand lui est apparu comme une évidence : personne n’avait encore produit de film de qualité sur le sujet. Son but assumé ? Produire LE documentaire de référence sur le rap allemand. De retour du festival DOK. Fest de Munich où son documentaire a été présenté, Michael Münch partage ses impressions sur les particularités du rap allemand, la place qu’occupe le hip-hop en Allemagne, et nous fait écouter les titres de référence du genre.

Quand est-ce que le hip-hop est né en Allemagne?

Il est dur d’associer une date ou un lieu à la naissance du hip-hop en Allemagne. Mais d’après mes recherches et d’après les artistes que j’ai interviewés, le phénomène aurait vu le jour au milieu des années 1980 en Allemagne. Il est important de garder à l’esprit que le terme “hip-hop” englobe d’autres arts que la musique. Cette culture comporte quatre facettes : le rap, le DJing, le breakdance et le graffiti. Et il me semble que le breakdance et le graffiti sont les premiers à être entrés en Allemagne grâce aux camps militaires américains basés dans le pays.

De quelle manière le hip-hop allemand est-il lié à l’histoire de l’Allemagne ?

A mon sens, la première et unique fois que le hip-hop allemand a eu un impact sur l’histoire de l’Allemagne a été dans les années 2000, lorsque les médias ont révélé les aspects les plus négatifs de cette culture à l’origine positive et que les jeunes se sont mis à utiliser un vocabulaire plus vulgaire. Ce phénomène est comparable au punk des années 1980, mais je pense que le punk a eu un impact bien plus fort sur la culture allemande en général.

A quel point penses-tu que le hip-hop allemand est influencé par les Etats-Unis ?

Au final, tout vient du rap US. Les premiers rappeurs allemands utilisaient principalement l’anglais en mimétisme à ce qu’ils entendaient lors des jams de hip-hop organisés par les soldats américains stationnés en Allemagne et aux chansons de rap qui passaient à la radio et sur MTV. Mais ils ont ensuite préféré s’exprimer dans leur langue maternelle. C’était juste une drôle d’étape à franchir car le rap en langue allemande sonnait un peu ridicule au début. Puis, dès que les gens s’y sont habitués, ils l’ont adoré. Avant cela, seuls des artistes comme Falco ou Nina Hagen parlaient dans leurs chansons, mais on ne peut pas vraiment les qualifier de rappeurs… A ce jour, beaucoup de nouvelles influences proviennent directement des Etats-Unis. Mais je ne pense pas que ce soit un phénomène spécifique au rap, la même chose est observable dans tous les styles de musique.

Rap allemand interview

Comment des villes comme Heidelberg, Stuttgart, Hamburg ou Berlin ont-elles fait évoluer le rap allemand ?

Heidelberg est connue comme étant la ville d’origine du rap allemand. En tout cas, elle a vu naître l’une des premières scènes de hip-hop en allemand à avoir rayonné dans l’ensemble du pays. Mais toutes les villes que tu as citées ont eu un impact important sur le rap allemand. C’est également le cas pour des villes dont tu n’as sûrement même jamais entendu parler comme Lübeck, Braunschweig et Osnabrück. Elles ont accueilli beaucoup des premières jam-sessions de hip-hop en Allemagne.

Quelles sont les particularités du rap allemand ?

En dehors de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Autriche, la plupart des gens ignorent tout simplement qu’il existe une scène de rap allemand. Alors je dirais que la première particularité serait que le simple fait de rapper en allemand peut sembler bizarre pour les habitants d’autres pays. La langue allemande n’est pas comme le français, elle n’est pas agréable à écouter. Cette caractéristique peut apporter une touche d’agressivité pour le public ne parlant pas allemand.

Quels sont les thèmes les plus récurrents abordés dans les chansons de rap en allemand ?

A mon avis, les sujets les plus largement traités sont les femmes et les problèmes de société. Une nouvelle mouvance de rap un peu plus léger a émergé dans les dernières années, avec des paroles plus joyeuses accompagnées de musique festive. Mais, avant cela, les thèmes abordés tournaient essentiellement autour de la pauvreté, de thèmes raciaux, du fait de vivre dans un quartier défavorisé… Et, bien sûr, il existe depuis toujours du rap gangster dans lequel les rappeurs se proclament être les plus forts, riches et durs au monde.

Comment est-ce que le hip-hop est considéré en Allemagne ?

C’est sûrement la culture populaire la plus importante en Allemagne en ce moment. Elle influence beaucoup de monde entre dix et cinquante ans. Pourtant, les médias et les personnes au pouvoir essayent encore de la faire passer pour un terrain de jeux pour grands enfants. La phrase “Les rappeurs sont des adultes qui refusent de grandir” correspond sûrement à ce qu’une majorité de personnes pense. Mais, de nos jours, les fans de hip-hop ont aussi des situations très respectables : ils sont docteurs, architectes, coiffeurs, professeurs et même officiers de police ! Comme Bob Dylan l’a un jour dit, “The times are a-changin” (les temps sont en train de changer).

Photos : Yves Krier

Découvrez une sélection d’adresses alternatives et culturelles en Allemagne avec notre city guide Indie Guides Berlin.