Au Music Box Village à La Nouvelle-Orléans, les maisons prennent vie : les murs sont des xylophones, les fenêtres deviennent percussions et les toits sifflent en mi majeur. Depuis octobre dernier, cet excentrique village de cabanes musicales a élu domicile dans le quartier de Bywater à La Nouvelle-Orléans. Il accueille des performances réunissant une quinzaine de musiciens pour des concerts uniques en leur genre. Ici, les artistes utilisent les maisons comme seuls instruments !
Le Music Box Village a tout du rêve d’enfant devenu réalité. A la fois installation artistique, lieu de concerts, terrain de jeu et parc d’attraction, le Music Box Village ne pouvait naître que sur une terre musicale et mystique comme la Nouvelle-Orléans.
L’histoire commence en 2005. De retour à La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina, les artistes Jay Pennington et Delaney Martin se rendent compte de la difficulté pour les musiciens locaux de continuer à vivre de leur art. Ils décident alors de créer New Orleans Airlift, une organisation destinée à aider les musiciens de La Nouvelle-Orléans à jouer aux quatre coins du monde et à favoriser les rencontres avec d’autres artistes venus de partout. Le projet de Music Box est né quelques années plus tard, en 2009, quand Jay Pennington a envisagé de donner une seconde vie à une maison en ruine dont il était propriétaire. Et si la maison devenait elle-même un instrument de musique dont des artistes pourraient jouer ? Sept ans plus tard, cette “Music Box” a voyagé jusqu’en Europe et nombre d’artistes ont eu l’occasion de jouer de ces maisons musicales : l’artiste local Big Freedia mais aussi Arto Lindsay, Thurston Moore, Wilco… Depuis octobre, ces maisonnettes ont même trouvé un lieu permanent pour les accueillir en plein cœur du quartier de Bywater à La Nouvelle-Orléans.
Retour sur sept années d’expérimentations musicales et architecturales avec Jay Pennington aka Rusty Lazer.
Comment est né le projet Music Box ?
En 2009, la maison mitoyenne à la mienne (j’étais propriétaire des deux) était en train de tomber en ruine. Cette maison était très chère au cœur des personnes de La Nouvelle-Orléans car elle était très ancienne et avait beaucoup de cachet. Les habitants du quartier n’avaient pas envie de la voir disparaître même s’il n’était plus vraiment possible de vivre dedans. Avec Delaney, l’artiste visuelle Swoon et Taylor Lee Shepherd, qui fait également partie des fondateurs du projet Music Box, nous avons beaucoup parlé de ce que nous pourrions faire de cette maison qui ait du sens pour les gens. Nous avons finalement décidé que cela serait une bonne idée d’en faire une « maison musicale ». A La Nouvelle-Orléans, la musique et l’architecture sont deux éléments tellement importants que cela nous a semblé évident d’imaginer que la structure de la maison devienne elle-même musicale. Delaney a alors eu une super idée : plutôt que de reconstruire une maison de toutes pièces, pourquoi ne pas utiliser les matériaux issus de l’ancienne maison pour créer un prototype. Nous avons réalisé qu’il nous fallait inventer de nouveaux instruments, à la frontière entre la musique et l’architecture. Nous avons contacté des artistes et des constructeurs que nous aimons, créé une équipe de 25 personnes et construit des cabanes avec le bois et les matériaux bruts sauvés lors de la démolition de la maison. Nous avons construit un petit village de huit structures musicales.
Comment est-ce que la population a réagi ?
Nous avons organisé nos premiers concerts en 2011 avec l’aide de Quintron, qui est un artiste local connu pour ses expérimentations et qui construit lui-même des instruments. Et nous avons rencontré un beau succès ! Nous pensions qu’une centaine de personnes se déplaceraient mais à chaque fois nous en avions plutôt mille ! Nous étions clairement au-dessus de notre capacité d’accueil du public… Nous avons invité des musiciens connus à jouer avec des artistes locaux. L’idée était d’avoir à chaque fois entre 13 et 15 musiciens conduits par un « chef d’orchestre ». Tous les concerts ont été très différents les uns des autres. Nous avons arrêté ce projet en 2013 quand nous avons réalisé que les structures n’étaient plus assez résistantes, puisqu’elles avaient été construites à partir d’une vieille maison délabrée. Nous avons détruit toutes les maisons et nous avons commencé à réfléchir à notre prochain projet.
Comment est-ce que le projet a évolué jusqu’à ce que vous acquériez un espace permanent pour l’accueillir ?
Nous avons décidé que la prochaine étape serait de construire une version transportable des maisons musicales, que nous pourrions mettre sur un camion et déplacer n’importe où. Nous en avons construit une nouvelle version que nous avons appelée le « Roving Village » et avons réalisé des performances en 2015 dans City Park, un immense parc situé à La Nouvelle-Orléans. Nous avons programmé une nouvelle série de concerts, toujours en faisant se rencontrer des musiciens de différents horizons. Cela a très bien marché. Nous avons aussi réalisé des performances dans d’autres villes, comme Kiev en Ukraine, Shreveport en Louisiane et Tampa Bay en Floride.
Cette année, nous avons eu la possibilité d’acquérir un terrain dans le quartier de Bywater. Nous l’avons acheté en avril et avons ouvert au public en octobre. Nous disposons d’un énorme entrepôt de fabrication et d’un grand espace forestier boisé et ainsi d’une base permanente pour nos maisons musicales. Nous y accueillons onze structures, dont certaines que nous avons ramené de constructions réalisées dans d’autres villes. L’année prochaine, nous allons continuer à faire voyager ce projet dans d’autres villes et à ramener des structures avec nous pour faire évoluer le village.
Dans le Music Box Village, nous organisons des concerts et le public peut venir jouer avec les maisons pendant les horaires d’ouverture. Le lieu est au croisement entre le terrain de jeu, le parc d’attraction, l’installation artistique et la salle de concerts. Nous avons ouvert la saison avec un concert faisant partie du programme OneBeat, réunissant 30 musiciens venant de treize pays différents. C’était un moment vraiment unique !
Quelle est la réaction du public ?
La plupart des gens réagissent avec un enthousiasme très enfantin et à la fois les jeunes et les personnes plus âgées s’approprient le lieu de la même façon. Il s’agit d’instruments inventés donc personne n’est meilleur qu’un autre pour les jouer. Sans connaissance musicale particulière, vous pouvez en jouer, ce qui met tout le monde sur un pied d’égalité et les gens adorent ça ! Quand vous voyez un musicien célèbre jouer dans une des maisons, il n’est pas nécessairement meilleur que les autres. Même si vous n’êtes pas familier des musiques expérimentales, je pense que l’aspect visuel va vous accrocher et permettre de rendre la musique plus abordable.
Pensez-vous que ce projet peut permettre de démocratiser une autre image de la musique, moins élitiste ?
Nous cherchons à créer des collaborations qui ne sont pas élitistes. Nous voulons que le public apprécie l’expérience de découvrir de la musique expérimentale, pas les dégoûter. C’est la raison pour laquelle les performances sont toujours assez courtes (entre 30 et 40 minutes). Il y a un proverbe qui dit que « Une cuillère de sucre aide à avaler le médicament ». En invitant des musiciens évocateurs pour le public, nous avons plus de liberté pour faire des choses expérimentales. Nous n’invitons pas forcément des musiciens expérimentaux connus. Nous pouvons inviter des musiciens qui viennent du monde de la pop ou du rap par exemple. Tout un tas de musique que le public ne considère pas comme expérimentale. Nous essayons de rendre l’expérience la plus agréable et ouverte possible, et non pas de proposer quelque chose de trop intello ou arty.
Comment imaginez-vous le futur du Music Box Village ?
Quand je regarde des enfants jouer, et des adultes jouer avec eux, je me dis que c’est un super terrain de jeu ! A mille lieues des terrains de jeu où vous laissez votre enfant jouer pendant que vous regarder votre téléphone ou parlez avec quelqu’un d’autre… J’espère que notre projet préfigure ce que pourrait être le futur des terrains de jeu : des environnements où les gens interagissent.
Je crois que chacun peut trouver son compte avec le projet Music Box. Des étudiants en photographie viennent y passer la journée. Des étudiants en théâtre viennent y parler de scénographie. Nous accueillons aussi des musiciens, etc. Dans le futur, j’aimerais vraiment que nous puissions lancer un programme dédié aux jeunes centré sur la composition afin de leur permettre d’apprendre la composition dans notre environnement. Et dans cinq ou dix ans, peut-être qu’ils auront développé leur propre langage dans cet espace, appris à jouer de ces instruments d’une façon qui leur est propre. Ils pourraient aussi nous aider à réparer les instruments et à en construire de nouveaux. A La Nouvelle-Orléans, depuis Katrina, nous avons beaucoup délaissé l’éducation musicale et technologique et c’est vraiment dommage… Nous essayons de combler ce manque pour les jeunes. J’espère qu’ils auront plaisir à venir et qu’ils viendront plus tard avec leurs propres enfants. Cela serait une belle façon de faire grossir cette idée de façon organique. On verra bien comment les choses évolueront !
Photo : Josh Brasted
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