On doit avouer qu’on est un peu jaloux de « Sam »… Thee Oh Sees, Ty Segall, King Gizzard and the Lizard Wizzard, The Intelligence : ce Français est pote avec quelques uns des meilleurs groupes de la scène rock alternative américaine et australienne. Cet ingé-son de formation, qui travaille comme chauffeur, ingé-son, roadie ou tour manager (voire tout en même temps), passe son année sur la route, de concert en concert.
Il faut viser juste pour coincer Sam pour le faire parler de sa vie en tournée… surtout en plein été pendant la saison des festivals ! Juste après quelques dates avec le groupe de stoner américain Red Fang et quelques jours avant de rejoindre Thee Oh Sees pour un mois sur les routes de France, d’Europe et d’Amérique du Nord, il se confie sur les galères de tournée, ses meilleurs (et ses pires) souvenirs et nous fait partager son quotidien rock’n’roll.
Comment as-tu commencé à travailler sur des tournées ?
C’est le fruit d’un heureux hasard. En 2007, j’ai été contacté par une association à Strasbourg qui organisait un concert de visual key et avait besoin d’un ingé-son. Quand je suis arrivé, je me suis rendu compte que le lieu n’était pas du tout adapté : c’était un ancien réfectoire avec des colonnes partout et le groupe était en train de flipper. J’ai soumis l’idée de faire jouer le groupe entre quatre colonnes, en réalisant une quadriphonie avec les enceintes et en installant le public autour. On m’a donné le feu vert, ça s’est super bien passé et à la fin de concert, le tour manager du groupe m’a demandé si j’avais le permis et mon numéro de téléphone. Une semaine plus tard, il me proposait une tournée de cinq dates en février 2008 avec Marie Modiano, une artiste française. Par la suite, j’ai eu l’occasion de rencontrer Buzz de U-Turn Touring. Il avait des groupes qui avaient besoin d’un chauffeur, j’y suis allé. Depuis, je n’ai pas arrêté…
A quoi ressemble une journée type en tournée ?
Quelque part, ça ressemble à la journée de tout le monde : tu te lèves, tu vas travailler, tu vas te coucher… à la différence près que tu ne dors pas beaucoup en tournée ! Quand je fais des tournées en tour bus où je suis ingé-son, je dors davantage. Mais, quand il s’agit de tournées en van et que je m’occupe de tout, c’est moins évident… Après le concert, on propose toujours une after au groupe. En tournée, je suis sérieux et concentré sur mon travail : je ne bois pas, j’essaie de bien dormir. Du coup, souvent, je laisse l’adresse de l’hôtel et je m’éclipse avant la fin de l’after pour aller me reposer. Le piège, c’est quand à ce moment-là, un des membres du groupe te dit qu’il fume une dernière cigarette et qu’il rentre avec toi… C’est le genre de clope qui dure quatre heures !
Est-ce que tu arrives à garder une hygiène de vie en tournée ?
Je tourne dans des cercles de tournée plus pro aujourd’hui, on joue dans des bonnes salles et les organisateurs savent ce que c’est que d’être en tournée. Je ne mange donc plus un sandwich au fromage ou des pâtes à la sauce tomate tous les soirs ! Au-delà de l’alimentation, j’essaie de faire du sport. C’est Lauch, un copain qui fait beaucoup de tournées, qui m’a converti. Il m’a dit : « tu conduis des groupes pendant des semaines en mangeant des cochonneries au volant, tu vas mal tourner… Tu vas finir avec un physique de routier ! » Ca m’a fait réagir et j’ai commencé à courir pendant les tournées et à faire de la corde à sauter. Je joue aussi aux échecs ! J’amène toujours un plateau de jeu avec moi et, dans les salles, tu trouves toujours quelqu’un de partant pour faire une partie. Pour moi, ça fait aussi partie de l’hygiène de vie, ça t’aère l’esprit, ça t’évite de penser à la tournée 24h/24. Il y a aussi souvent des douches dans les salles de concerts et c’est bien pratique pour pouvoir te laver de tous les affronts du public : je pense notamment à un concert de Ty Segall à Berlin où un gars m’avait sorti un billet de 20 euros de sa chaussette toute transpirante pour acheter un vinyle. On te dit que l’argent n’a pas d’odeur alors tu le prends… mais c’est faux, parfois, ça pue vraiment l’argent, la preuve !
A quoi ça ressemble une tournée avec des vrais groupes de rock ? Est-ce qu’on est loin du mythe « sexe, drogue et rock’n’roll » ?
Je vais te répondre en trois parties :
1. Ce qui se passe en tournée reste en tournée.
2. Chacun a droit à son libre arbitre : parfois on fait des choses, parfois pas.
3. Enfin, je vais casser un peu le mythe : j’ai déjà vu des mecs aller se coucher juste après les concerts !!
Ce qui est sûr, c’est que souvent, quand un groupe fait sa première tournée en Europe, les mecs prennent ça un peu pour des vacances donc il y a pas mal de recadrage à faire si tu veux pas qu’ils soient cramés au bout de quelques jours…
Quel est ton pire souvenir de tournée ?
J’en ai quatre.
Le premier, c’est une crevaison sur une petite route de campagne dans le Massif Central avec le groupe Left Lane Cruiser. Dans l’absolu, c’est pas un souci une crevaison… sauf quand tu n’as pas de cric dans la voiture de location ! Personne n’est passé sur cette route pendant 25 minutes et on commençait à se dire qu’on allait être vraiment en retard pour le concert du soir. Et là, des chasseurs sont arrivés et ont sorti un cric. C’est bien la première fois que j’ai trouvé les chasseurs utiles (rires) ! On leur a offert un vinyle en échange. J’imagine qu’ils s’en sont servis pour faire une partie de balltrap.
Mes trois autres pires souvenirs, ce sont tous des vols de matériel. Je me suis fait voler deux fois mon sac à dos avec mon ordinateur, une fois en République Tchèque dans une station-service, et l’autre à Bruxelles dans un parking. C’est l’horreur, j’ai perdu des sessions entières réalisées avec des groupes… Ca a le mérite de m’avoir appris l’importance de faire des sauvegardes… Et on s’est fait vider la moitié du van à Rome en Italie avec The Intelligence. Plus d’ordinateur, plus de vêtements, plus de passeport, la moitié des instruments envolés… Et, évidemment, l’assurance de la voiture ne prend pas en charge ce que le véhicule transporte. Très vite, tu réagis : tu appelles le tourneur, le lieu où tu joues le soir, tu cherches des solutions au plus vite car la tournée continue.
Et le meilleur ?
Il est lié à mon pire souvenir… Après s’être fait tout voler à Rome, on a débarqué dans l’un des plus beaux clubs en Italie, le Spectre Live Club. C’est un club presque privé dans une vieille ville italienne entre Florence et Rome, en haut d’une colline. Le lieu n’a pas d’adresse, juste des coordonnées GPS. Là, tu arrives et il y a une piscine, une dépendance pour les groupes… le paradis ! Dès notre arrivée, les organisateurs ont tout fait pour nous aider : ils nous ont donné des T-shirts, des caleçons, des chaussettes, ils ont lavé nos vêtements. Ils nous ont préparé un super repas avec une huile d’olive excellente qui venait directement des oliviers qui poussaient sur place. Le soir, on a mis un mot sur le stand de merchandising pour expliquer notre situation. Le public a été super : souvent, les gens ont payé plus que le prix du vinyle pour nous aider. Mais, après avoir soutenu le groupe pendant toute la journée pour arranger la situation au plus vite, ça a été à mon tour de craquer le soir après le concert. Tout le groupe s’est mobilisé à son tour pour m’aider. Une tournée, c’est aussi une famille où tout le monde se supporte.
Un autre super souvenir, c’est quand Fuzz a essayé de parler en français au festival Cabaret Vert devant plus de 10 000 personnes pour me fêter mon anniversaire. Ce sont les gens qui viennent te féliciter à la fin des concerts pour le son. Ce sont les concerts dont tu es fier et où tu te dis que tu as correctement fait ton travail. Ce sont les rencontres avec des potes ou des groupes que tu n’as pas vu depuis longtemps, comme quand j’ai croisé Charly, Sean, Tim et Josh de White Fence. Ce sont toutes ces filles que tu BAAAAIIIIIISES… non, non, je rigole !
Quelles sont les salles de concerts que tu as préférées ?
En France, je pense à La Sirène à La Rochelle, au Krakatoa à Bordeaux, au Stereolux à Nantes et à La Paloma à Nîmes. Et, dans le reste de l’Europe : le Vera à Groningen, le John Dee à Oslo, le Paradiso à Amsterdam, la Sala Apolo à Barcelone. Le Brudenell Social Club aussi en Angleterre ! Nathan Clark est l’un des meilleurs promoteurs avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler. Il pense vraiment aux groupes avant tout ! S’il y a un endroit où il faut jouer en Angleterre, c’est là !
Est-ce que tu as le temps de faire du tourisme en tournée ?
C’est une question qu’on me pose souvent… Je ne prends pas forcément le temps de le faire. Souvent, je suis fatigué alors je préfère me reposer. Cependant, de temps en temps, quand c’est moi qui conduit sur la tournée, on se prépare un petit itinéraire. J’organise généralement une visite de Paris pour les groupes qui viennent pour la première fois en France. A Londres, le trafic est affreux donc on ne visite jamais !
Comment c’est une tournée avec Ty Segall ou Thee Oh Sees ? Ils ont pas pris la grosse tête ?
Ty Segall, je tourne avec lui depuis 2011, à l’époque où il remplissait à peine des clubs de 200 personnes. Et je peux te dire qu’il n’a pas changé d’un poil. C’est toujours le mec qui m’engueule quand je charge le van tout seul, qui prend des nouvelles quand il me trouve fatigué, qui va te payer un peu plus si le groupe se fait plus de fric que prévu !
John Dwyer de Thee Oh Sees, lui, est très exigeant mais toujours juste. Il est un peu nerveux mais on se prend rarement la tête en tournée. C’est quelqu’un que j’apprécie énormément. Il m’a beaucoup appris sur la manière d’obtenir rapidement ce dont tu peux avoir besoin à un moment en tournée.
Comment tu te sens à la fin d’une tournée ?
Passer de l’état 1 à l’état 0, on apprend à le gérer. Avant, j’avais besoin de faire une semaine de fête pour oublier que je n’étais plus nécessaire aux gens, que je n’avais plus de responsabilités. Maintenant, je le gère mieux : on n’est pas que son travail, on peut aussi être autre chose. Je suis très occupé en dehors des tournées, avec la musique, mon studio, quelques voyages. J’ai réussi à effacer ce cafard post-tournée.
Et puis, parfois, tu es aussi très content de rentrer chez toi ! La tournée idéale, elle dure trois semaines : une semaine pour rentrer dans la tournée, une semaine où tu es content d’être en tournée, une semaine où tu commences à te préparer psychologiquement à rentrer. J’ai déjà fait des tournées de huit semaines et ça flingue le moral : tu n’as plus envie de travailler, tu veux rentrer chez toi et, après avoir géré des galères pendant plusieurs semaines, le moindre truc qui bloque te rend irritable. Tout le monde n’envisage pas ça de la même façon : je pense à mon pote Wouter Bakker, qui est toujours sur la route, en tournée avec des groupes comme Ty Segall ou Mac DeMarco. Il le vit bien comme ça !
Photo : Romain ETIENNE / Item