Surfer sur les eaux glaciales de la Sibérie

Il faut être un peu fou ou vraiment passionné pour surfer en Sibérie. C’est le cas de l’équipe de Surf Siberia. Avec la série de films née de ses expéditions sur les côtes russes, elle prouve que surfer sur les eaux glaciales du Grand Nord est possible. Possible certes, mais pas pour n’importe qui…


Le projet Surf Siberia est né d’une idée simple : trouver les meilleurs spots de surf en Russie et les filmer. Le Russe Konstantin Kokorev, producteur et surfeur accompli, s’est alors entouré d’une équipe pour découvrir des zones encore inexplorées par les surfeurs. Au minimum deux surfeurs, un cameraman et un ou deux photographes ont ainsi participé à chacune des expéditions. Leur aventure a donné le jour à une série de mini-documentaires tournés en Arctique, et à un épisode relatant leur expérience dans les îles Kouriles, à l’est de la Russie. Marat Hasanov, photographe et surfeur de l’équipe, partage quelques anecdotes sur cette expérience extrême, aussi excitante qu’éprouvante, entre grands espaces, paysages polaires et survie en milieu hostile.

Où les différents épisodes de SurfSiberia ont-ils été tournés précisément ?

La série d’épisodes en Arctique a pris place dans le village désert de Teriberka et dans ses environs, dans la région de Murmansk. C’est là que Léviathan, un film de 2014 produit par Andrey Zvyagintsev et nominé aux Oscars, a été tourné. L’autre épisode a été filmé en deux semaines sur les îles Kouriles, qui se situent entre le Japon et la Russie. Le Japon convoite ces îles depuis longtemps, mais elles sont encore sous contrôle russe. Personne n’y habite à part des militaires russes et l’endroit n’a pas vraiment changé depuis la Seconde Guerre mondiale.

En quoi le surf en Sibérie est-il différent du surf dans des zones plus tempérées ?

Surf Siberia Cold Wetsuits

En Russie, les conditions sont extrêmes. Peu d’étrangers viennent y surfer, du moins personne que nous ne connaissons. Ceux qui le font se rendent habituellement dans la péninsule de Kamchatka, à l’est de la Russie. L’eau est très froide en Arctique, elle gèle en dessous de 0°C à cause sa forte salinité. Pour surfer là-bas, il faut être bien préparé et extrêmement concentré. Il y a d’énormes rochers dans l’eau et il faut pouvoir les éviter ! Le froid est la seule chose pour laquelle tu ne peux pas vraiment te préparer. Nous avons des combinaisons intégrales en néoprène très épais, avec des cagoules et des gants. Mais cela ne nous a pas empêché d’attraper des maux de tête à cause du froid ! Et les combinaisons de plongée ne séchaient pas bien — nous étions obligés d’y verser de l’eau bouillante pour les décongeler — donc tout le monde a dû en apporter au moins deux. Sachant que pour avoir de l’eau, nous devions faire bouillir de la neige, tout prend une autre dimension. Lors de nos expéditions, nous n’avions pas accès à des sanitaires, et il n’y a aucune forme de secours près des endroits où nous sommes allés surfer.

Qu’est-ce que tu as trouvé le plus déstabilisant dans cette aventure ?

Armée iles Kouriles Siberie surf

En arrivant sur les îles Kouriles, nous avons eu l’impression d’avoir quitté la Russie. Nous avons dormi dans des tentes près de l’océan. Le matin, des empreintes d’ours toutes fraîches nous attendaient devant nos tentes. Nous avons aussi été informés que les ours étaient particulièrement affamés quand nous y étions, car une série de micro-séismes avait pratiquement éradiqué les poissons des rivières pour un moment. C’était un peu effrayant, mais heureusement nous ne sommes jamais tombés nez à nez avec l’un d’eux car ils sont actifs la nuit et dorment pendant la journée. Nous avons également vu des otaries (tellement nombreuses !) et des baleines à bosse. A un moment, un cyclone a balayé l’île où nous nous trouvions. Nos tentes étaient à deux doigts de s’envoler et la pluie tombait presque à l’horizontale. Les vagues faisaient environ six mètres de haut et la tempête a été tellement violente que d’énormes pierres ont été propulsées à environ trente mètres à l’intérieur des terres. C’était très impressionnant.

N’avez-vous pas eu peur que les choses tournent mal dans des conditions si extrêmes ?

Surf Siberia Surfing rocks

Pendant l’expédition en Arctique, Sergey a failli se noyer. Il surfait dans un nouveau spot et il a commis l’erreur d’aller à l’eau avec sa GoPro attachée à sa bouche, rendant sa respiration plus difficile. A un moment, une série de grosses vagues l’a entraîné sous l’eau pendant un assez long moment et, lorsqu’il a finalement réussi à refaire surface, il n’a pas pu reprendre son souffle correctement à cause de sa GoPro. Trois autres vagues l’ont percuté et il s’est de nouveau retrouvé sous l’eau. Au moment où il a réussi à se sortir de cette situation, il s’est rendu compte qu’un rocher avait arraché un bout de sa combinaison et que beaucoup d’eau entrait à l’intérieur. Il s’est donc refroidi très vite. Après cet incident, il a eu du mal à retourner surfer à cet endroit. Pour y arriver, il est allé faire de la plongée plus tard dans la journée à l’endroit même où il avait failli se noyer. Le lendemain, il est directement remonté sur une planche de surf, c’est aussi ce qui l’a aidé à surmonter sa peur et à retourner surfer à l’endroit où il a failli mourir.

Et quel est ton meilleur souvenir du tournage du film ?

Surf Siberia Aurores Boreales

Les aurores boréales. Elles sont superbes ! L’équipe a eu la chance d’en voir plusieurs fois pendant le tournage dans l’Arctique. Elles semblent sorties de nulle part, durent deux ou trois heures et disparaissent de nouveau… J’ai du mal à mettre des mots sur la sensation que leur vue procure. C’est comme une bénédiction, comme une récompense. Un autre de mes souvenirs est lié aux otaries qui peuplaient les îles Kouriles. Parfois, elles se montraient curieuses de ce que nous faisions et se rapprochaient de nous. Une d’entre elles s’était endormie et elle a flotté jusqu’à se trouver tout près de Sergey. Vous auriez dû voir sa tête lorsqu’elle s’est réveillée et qu’elle s’est éloignée à toute vitesse, les yeux écarquillés et la peur au ventre !

Quel sentiment procure le fait d’être complètement coupé de la civilisation ?

SurfSiberia tents

C’est étrange de se retrouver uniquement entouré par ses propres pensées, sans être constamment bombardé de messages publicitaires comme dans les grandes villes où nous vivons. Lorsque nous avons été déconnecté du reste du monde pendant deux semaines lors de notre séjour sur les îles Kouriles, nos esprits se sont comme éclaircis. Sans internet, le temps semble ralentir. Dans notre vie quotidienne, nous n’avons pas vraiment de temps libre, nous devons toujours penser à quelque chose. Nous engrangeons une telle quantité d’informations et nous faisons tellement de choses en une journée que notre perception du temps est altérée. Les deux semaines sont donc passées extrêmement lentement… Cela a semblé durer une éternité. Mais nous ne nous sommes pas ennuyés. Nous avons pris le temps de discuter, de profiter de la nature, et nous avons enchaîné jusqu’à trois sessions de surf par jour, ce qui équivaut à six heures passées dans l’eau les jours où il y avait des vagues. Et nous avons mangé frais tous les jours, en partie grâce à la pêche. Nous avons même mangé du caviar rouge plusieurs fois ! Nous l’avons dégusté avec du pain frais et du sel. Un moment très spécial.

Quelle est la meilleure saison pour surfer en Arctique ?

Surf Siberia Winter

L’automne et l’hiver. Il fait moins froid en été, mais les vagues sont aussi moins bonnes pendant cette saison ! Par contre, il est très difficile d’accéder aux spots de surf en hiver. Pour se rendre à certains spots, l’équipe pouvait aller jusqu’à un certain point en voiture, mais elle devait ensuite marcher parfois jusqu’à dix kilomètres en transportant tout le matériel.

Quelle est la prochaine étape de votre projet ?

Surf Siberia Last Wave

Nous n’avons pas de plan bien défini pour l’instant. Mais je suis sûr que la prochaine houle nous apportera de nouvelles idées et de nouvelles expériences à partager ! Nous allons certainement passer l’été à construire nos propres planches en bois pour notre prochaine expédition vers l’inconnu…

Photos : Surf Siberia